Relations entre Burnout, Anxiété, Dépression et Haute Sensibilité : un point de littérature scientifique.

Relations entre Haute Sensibilité et Anxiété ou Dépression

 

Haute Sensibilité, Dépression et Anxiété sont trois construits psychologiques indépendants, partageant cependant certaines caractéristiques communes, comportementales, biologiques voire génétiques.

 

Dans la formation sur la Haute Sensibilité chez l’humain (modèle de la Sensibilité au Traitement Sensoriel (SPS – en anglais)) que nous proposons et que je co-anime avec Catherine Besnard-Péron (voir HSP module 1), nous voyons que ce trait de la personnalité est fortement corrélé avec les symptômes de troubles anxieux et ceux des états dépressifs. D’ailleurs, ces liens ont été répliqués de nombreuses fois depuis bientôt 30 ans. C’est devenu  maintenant une « routine » en recherche comportementale en Sensibilité Environnementale (SE) que de contrôler les échantillons étudiés soit sur l’anxiété, soit sur la dépression, soit sur les deux variables, en utilisant des questionnaires adaptés[1].

Egalement, il est assez clair aujourd’hui que Haute Sensibilité (modélisée par le SPS), Dépression et Anxiété sont trois construits psychologiques indépendants, partageant cependant certaines caractéristiques communes, comportementales, biologiques voire génétiques.[2]

Toutefois, il existe encore peu de travaux en revanche sur le trait SPS dans le monde du travail et spécifiquement sur le lien entre SE et Burnout (ou Epuisement Professionnel, vocable retrouvé fréquemment en français). Malgré tout, nous avons connaissance de témoignages de psychothérapeutes (E. Aron[3], C. Besnard-Péron[4]) recevant un grand nombre de patients hautement sensibles (parfois jusqu’à 1 patient sur 2) qui rapportent également une certaine prévalence du burnout dans leur patientèle.

Même si ce constat est probablement dû à un biais de sélection, l’hypothèse d’une étiologie commune, même partielle, entre burnout et Haute Sensibilité peut être posée. A ce jour et à notre connaissance, cette hypothèse n’a pas véritablement été testée.


Relations entre Burnout et Haute Sensibilité

 

la Haute Sensibilité chez l’humain modélisée par le SPS, est corrélé positivement et modérément au burnout

 Chez des dentistes

J’ai trouvé une étude très récente (Meyerson, 2019)[5]qui établit une corrélation entre les deux variables dans une population de dentistes en Israël. Les auteurs commencent par préciser que cette profession « est stressante et épuisante, avec des niveaux élevés de burnout. » et ont donc analysé « l‘influence de la SPS sur l’épuisement et la qualité de vie professionnelle chez les dentistes israéliens ».

Leur conclusion est que « La sensibilité au traitement sensoriel peut servir d’outil pour identifier les dentistes qui sont enclins à développer un burnout et dont la qualité de vie professionnelle peut être affectée négativement par leur profession. » Dans leur étude portant sur 243 professionnels, la Haute Sensibilité chez l’humain modélisée par le SPS, est corrélé positivement et modérément au burnout, et plus spécifiquement les facteurs « facilité d’excitation  (EOE)» et « bas seuil de réceptivité (LST) » du SPS peuvent apparaître comme des « facteurs de risque » tandis que le « facteur esthétique (AES)» pourrait être vu comme un « facteur protecteur ».[6] D’ailleurs ce dernier est corrélé positivement dans la même étude avec une autre variable , « la satisfaction de compassion » définie comme « la gratification générée par la réalisation effective du travail et le plaisir d’aider les autres au travail, se sentir bien avec ses collègues et la capacité de contribuer à son travail ou même à la société. ».

Il est clair cependant que les objectifs de l’étude de Meyerson sont issus d’un modèle de compréhension du comportement humain biaisé par la psychopathologie […] et non par un modèle de sensibilité différentielle.

En fait, dans cette étude comme dans tant d’autres[7] on retrouve dans le trait de la Haute Sensibilité modélisé par le SPS, une partie corrélée avec des comportements jugés négatifs pour le développement de la personne (anxiété, dépression, stress, autisme, alexithymie, phobie sociale etc…) et donc ici le burnout et le stress traumatique secondaire (stress du praticien dû à la gestion du stress et des trauma de ses patients). Et puis, on retrouve aussi une partie corrélée avec des comportements jugés positifs (scores de dépression ou de harcèlement et victimisation réduits après intervention thérapeutique, humeur positive ou compétence sociale accrues, créativité, sentiment d’émerveillement, bien-être subjectif etc…) et donc ici la satisfaction de compassion.

Mais si on changeait de modèle interprétatif ?

Cependant, il est clair que les objectifs de l’étude de Meyerson sont issus d’un modèle de compréhension du comportement humain biaisé par la psychopathologie (comme celui de « Vulnérabilité au Stress ») et non par un modèle de sensibilité différentielle.[8]Ainsi, il manque à cette étude la réelle possibilité de pouvoir quantifier par exemple quels effets auraient chez des dentistes hautement sensibles touchés par le burnout, la qualité de leur vie actuelle comme passée (qualité globale de leur vie pendant l’enfance par exemple…).

Il est possible en effet, en phase avec un grand nombre d’études en SE, que l’expression du burnout soit moins élevée chez des professionnels hautement sensibles ayant eu une qualité de vie pendant l’enfance plutôt favorable à leur épanouissement. Cela reste une hypothèse à tester ultérieurement.[9]

Relations entre Burnout, Dépression et Anxiété

 

la question est toujours ouverte […] sur le fait de savoir si oui ou non, Burnout et Dépression sont une seule et même entité. Le burnout pourrait être un trouble dépressif spécifique au milieu du travail

 

Certains auteurs pensent que oui

Pour élargir mon point de vue, je me suis donc intéressé à cette présentation de juillet 2013 lors de la 27è Conférence de la Société Europénne de Psychologie de la Santé (EHPS) sur les liens entre Burnout et Dépression par Renzo Bianchi et collègues [10]. La conclusion, issu d’un travail sur 5575 personnes, était que «  Environ 90% des travailleurs [en burn out] ont été identifiés comme dépressifs, contre moins de 3% des travailleurs ne présentant aucun symptôme d’épuisement professionnel. » Parmi ces 90%, « il est recommandé de commencer immédiatement une pharmacothérapie et/ou une psychothérapie » pour la quasi totalité d’entre eux (env. 95%). Enfin, ces auteurs suggéraient de regarder le syndrome de bournout comme un  « trouble dépressif avec une étiopathogénèse liée au travail. ».

En réalité, la question est toujours ouverte depuis de nombreuses années entre les chercheurs sur le fait de savoir si oui ou non, Burnout et Dépression sont une seule et même entité. Le burnout pourrait être un trouble dépressif spécifique au milieu du travail par exemple. Ou bien, si malgré le fait que les deux partagent une étiologie partielle commune, cela reste deux construits distincts.

Certains autres pensent que non

Une publication de P. Koutsinami[11] de mars 2019 de l’Université de Macédoine à Thessalonique en Grèce fait justement le point sur cette question ! Les auteurs ont procédé à une revue de la littérature scientifique existante sur ce sujet publiée entre janvier 2007 et aout 2018. Ils ont retenu 69 études (parmi 3884) portant sur le Burnout et la Dépression ainsi que 36 études (parmi 2309) portant sur le Burnout et l’Anxiété. Les trois outils (parmi 42) majoritairement utilisés dans ces études pour quantifier les 3 variables étudiées étaient :

le MBI (Maslach BurnOut Inventory[12]) pour le burnout,

le PHQ (Patient Health Questionnaire[13]) pour la dépression et enfin

le HADS (Hospital Anxiety Depression Scale[14]) pour l’anxiété.

 

Relations entre le MBI et le Burnout

 

Le burnout est vu aujourd’hui comme la conséquence négative d’un stress prolongé au travail. Dit autrement, il peut être vu comme les conséquences négatives d’une relation prolongée entre des caractéristiques de personnalité d’un individu et des stresseurs de son environnement de travail. Le constat est que, face à de mêmes stesseurs, les conséquences semblent importantes pour certaines personnes et pas pour d’autres.

A la lumière du modèle de la SE, il serait extrèmement intéressant de tester si le burnout peut également être interprété comme une sensibilité différentielle, c’est à dire s’il était possible que ce soit les mêmes individus qui selon le contexte, peuvent connaître des conséquences importantes ou non sur leur santé !

il est suggéré que les études utilisant d’autres outils de mesure que le MBI pourraient potentiellement être la source d’une inflation des corrélations entre les variables étudiées et biaiser ainsi les conclusions en faveur d’une non indépendance entre les construits.

Le MBI est composé de trois sous-échelles : le Sentiment d’Epuisement Emotionnel, la Déshumanisation et l’Accomplissement Personnel au travail. Des scores haut aux deux premières échelles vont dans le sens d’un burnout élevé tandis que des scores haut à la dernière l’atténue. Concernant ces sous-échelles ou facteurs, Koutsinami rapporte que le névrosisme (ou instabilité émotionnelle) et l’introversion corrèlent, de manière indépendante, positivement avec le sentiment d’épuisement émotionnel (ainsi qu’avec la déshumanisation pour le névrosisme seulement) et négativement avec l’accomplissement personnel.

Greven rapporte que la recherche sur le SPS a démontré les mêmes relations de même valence entre névrosisme et introversion d’une part avec LST et EOE puis AES d’autre part, les 3 sous échelles du SPS.

Cela pourrait nourrir l’hypothèse d’une relation positive entre d’une part l’épuisement émotionnel et la déshumanisation voire l’accomplissement personnel et d’autre part la facilité d’excitation et le bas seuil de réceptivité du SPS voire le facteur esthétique donc entre le burnout et la haute sensibilité. Mais cette double hypothèse n’est pas encore testée.[15]

Enfin, Koutsinami nous enseigne que les outils de mesure utilisés sont également distincts et cela participe à créer des dissimilitudes dans les comparaisons entre études. Ainsi, le MBI serait la source d’une association plus faible entre burnout et dépression comme burnout et anxiété, comparativement aux même associations dans d’autres études employant d’autres outils pour mesurer le burnout. Dit autrement, il est suggéré que les études utilisant d’autres outils de mesure que le MBI pourraient potentiellement être la source d’une inflation des corrélations entre les variables étudiées et biaiser ainsi les conclusions en faveur d’une non indépendance entre les construits.

 

Burnout et Haute Sensibilité sont ils bien distincts ?

 

Au total, les auteurs concluent que même « s’il existe une relation statistique entre le burnout et la dépression et entre le burnout et l’anxiété, et si ces trois phénomènes sont interconnectés, ce ne sont pas les mêmes construits ». Comme nous savons que la Haute Sensibilité est un concept bien distinct de l’Anxiété ou de la Dépression, il resterait donc à tester la relation entre burnout et haute sensibilité. Nous attendons que cette dernière soit en faveur de la dissimilitude, comme semblent en témoigner quelques psychothérapeutes en cabinet, mais est ce réellement le cas ?

 

 

 

 Sources Bibliographiques :

3 E. Aron, Psychotherapy and the Highly Sensitive Person, Routledge , Juin 2010

4 A apprécier en Formation sur le sujet de la Haute Sensibilité

6 Je rappelle que ces 3 facteurs ou sous échelles de l’échelle totale du SPS ne coïncident pas exactement avec les quatre facettes D.O.E.S. conceptualisés par E.Aron (3) . Au mieux, nous aurions D ≈ LST + AES ; O ≈ EOE + LST ; E ≈ LST + EOE + AES et S ≈ AES + LST [ avec ≈ signifiant « équivalent à » et + étant une opération non commutative ici]

7 C. Greven & al, id.

8 C. Greven & al, id

9 Dans Meyerson, les figures 1 et 3 illustrent que les dentistes ont donné des scores plus élevés aux questions pointant le facteur esthétique versus des scores plus bas à celles pointant les deux autres facteurs de l’échelle SPS. Il aurait été intéressant par exemple de pouvoir interpréter les données brutes de SPS selon une analyse des classes latentes pour observer la répartition des personnes selon leur moyenne de SPS. [ Dit autrement, quelle est la proportion de personnes hautement sensibles dans cet échantillon et y a t il des différences significatives de comportement par rapport aux variables examinées (Burn Out, Satisfaction de Compassion, Stress Traumatique Indirect) en fonction de la classe de SPS (Hautement, Modérement, Peu sensible)?]

10 R. Bianchi & al, Burned out but not depressed? A re-examination of the burnout-depression overlap, Psychology & Health, 2013 Vol. 28, No. S1, 1–335, Juillet 2013

11 P. Koutsinami & al, The Relationship Between Burnout, Depression, and Anxiety: A Systematic Review and Meta-Analysis, Frontiers in Psychology, Volume 10, Article 284, Mars 2019

12 MBI : Maslach, C., Jackson, S. E., and Leiter, M. P. (2006). Maslach Burnout Inventory. CPP. Pour des précisions sur les travaux en francais : Langevin V. in Inrs, Un MBI en Français pour les médecins ; Une autre source ici ;

13 PHQ : Kroenke, K., Spitzer, R. L., and Williams, J. B. (2001). The PHQ-9: validity of a brief depression severity measure. J. Gen. Intern. Med. 16, 606–613

14 HADS : Zigmond, A. S., and Snaith, R. P. (1983). The hospital anxiety and depression scale. Acta Psychiatr. Scand. 67, 361–370. Pour des précisions en français : INRS. En français, sur le site de la HAS.

15 Double hypothèse : a) Facilité d’Excitation et Bas seuil de réceptivité corrèlent positivement avec le sentiment d’épuisement et la déshumanisation ; b) le Facteur esthétique corrèle positivement avec l’accomplissement personnel